jeudi 28 février 2008

De Gaulle n'avait pas tort

Prenez une bibliothèque où travaille 500 âmes et vous aurez autant de Marcel Proust qui s'ignorent mais le font copieusement savoir pour peu que vous leur en donniez l'opportunité.
Le style, c'est l'homme mais 500 Marcel Proust, cela fait vraiment beaucoup pour un seul homme. Roger Pédauque a sans doute tâté de l'horreur collaborative pour ne pas prolonger sa louable expérience.
Oui, il est fort difficile de gouverner un texte qui compte 500 collaborateurs tous différents les uns des autres...

Moi, ma vie, mes oeuvres

Comment interpréter le silence des usagers?

La première interprétation est tout à l'honneur de la Bibliographie nationale française : sa qualité est telle que l'usager en reste coi. L'usager ne dit rien car il n'a rien à redire.

La seconde hypothèse est légèrement différente. L'usager a bien quelques remarques à faire mais considère qu'il ne vaut pas la peine d'en faire part. Sa motivation est insuffisante, son intérêt personnel nul, le contact avec les services de la Bibliographie nationale française impersonnel, générique et asynchrone. Un détail bibliographique provoque rarement une bataille d'Hernani.

De plus, l'usager a bien intégré le fait qu'il s'agit d'un produit "en lecture seule". Autant un contenu peut libérer l'expression, autant une référence bibliographique en limite le champ...

Tout au fond est une question d'affect.

Est-il donc si étonnant que les seuls à prendre la parole soient ceux qui soient le plus impliqués émotionnellement, affectivement et même passionnellement et qui perçoivent sous la froide objectivité des données bibliographiques le sang, la sueur et le temps passé à réaliser un document?

Je veux bien sûr parler des auteurs, des éditeurs, des producteurs etc. pour qui la Bibliographie nationale française doit être un miroir, un beau miroir... une chambre d'enregistrement avant le Jugement dernier. Malheur au quatrième auteur d'un ouvrage collectif, qui échoue au bord du podium. La plus mauvaise place! Malheur à l'historien médiéviste qui voit son ouvrage sur l'importance de la magie relégué en compagnie d'ouvrages sur la voyance et l'horoscope...

L'ordre bibliographique n'est guère charitable envers l'ego. L'ego ne s'exprime pas, il crie...
On voit d'emblée l'écart vertigineux qui sépare la logique de la Bibliographie nationale française de celle qui caractérise les réseaux sociaux. D'un côté le moi est tenu en respect et renvoyé au besoin dans les cordes. De l'autre, on le gratifie de la place d'honneur, bien au centre du ring.

Silence de l'usager

C'est beaucoup demander à un usager de sortir de son corps, de faire deux pas de côté et d'observer à distance son propre comportement d'usager et de réfléchir à l'outil qu'il utilisait jusque là sans se poser de questions métaphysiques. C'est exiger encore davantage de lui que l'amener à imaginer des formes et fonctionnalités nouvelles de la Bibliographie nationale française. Nous n'avons aucune maquette d'une Bibliographie nationale française 2.0. à lui proposer.
L'usager n'est pas là après tout pour visiter nos cuisines. Son seuil de perception est d'autant plus bas qu'il pressent l'existence de normes bibliographiques. C'est un peu comme si l'on demandait au passager d'un aéronef si les moteurs sont placés au bon endroit et si le train d'atterrissage comporte un nombre suffisant de pneumatiques.

Le syndrome du chauffeur routier

Entendons-nous bien. Les chauffeurs ont tout à fait le droit de consulter la Bibliographie nationale française. Les documents du volet Cartographie sont même d'une grande utilité aux conducteurs de poids lourds. Ceci dit, nous tremblons à l'idée de ne recueillir qu'un faible nombre de réponses. The French national bibliography is not the sexiest thing on earth...
Et surtout, nous nous voyons mal annoncer lors de la présentation des résultats de l'enquête que 30% des usagers de la Bibliographie nationale sont des chauffeurs routiers...
Alors, faut-il contacter les syndicats de chauffeurs routiers pour savoir si leurs adhérents lisent la Bibliographie nationale française en conduisant leur bahut (au risque de leur vie et de celle d'autrui) ou faut-il se poser la question de l'identité numérique? Il n'est pas exclu que ce chauffeur routier soit en réalité un ex-collègue de promotion (Enssib) qui nous aurait pris en grippe et se serait mis en tête de saborder consciencieusement notre travail.

mercredi 27 février 2008

Renoncement

Nous, auteurs présumés du questionnaire sur la Bibliographie nationale française, déclarons ci-devant renoncer à l'idée même que ce questionnaire puisse fournir une photographie des usagers de la Bibliographie nationale française. Plusieurs raisons nous font en effet penser qu'il existe un écart entre les répondants et les usagers.

Réponse du berger à la bergère

C'est une erreur monumentale que de croire que les usagers ne font que répondre aux questions qu'on leur pose. En répondant aux questions, ne jugent-ils pas aussi la qualité intrinsèque du questionnaire?

mardi 26 février 2008

Figues et tartes à la crême

Certains tirent fort opportunément leur miel bibliothéconomique de ce fruit vanté par Francis Ponge qu'est la figue. D'autres sont moins équipés pour grimper aux arbres (pour cause de talons ou d'âge avancé). Heureusement, il leur reste d'autres registres (slapstick comedy?) et d'autres nourritures (moins raffinées certes et sans doute moins bonnes pour la santé).

Notre goût va en effet pour les tartes à la crême. Chasser la tarte à la crême, c'est faire oeuvre de salubrité publique. La bibliothéconomie a parfois les airs d'une gigantesque pâtisserie.

Parmi nos tartes à la crême préférées, il y en a une dont il est difficile de ne pas raffoler. Comme c'est de la crême anglaise, nous la baptiserons "User-centrism". La tarte est ronde, ce qui va de soi et l'usager est placé au centre, comme une cerise sur le gâteau... Vous avez bien entendu, comme une cerise sur le gâteau.

Dans le domaine de l'éducation, le X-centrism prend la forme du puéro-centrisme mais chaque domaine a sa déclinaison. Il y a déjà quelque temps que l'éducation a pris acte des limites du puéro-centrisme. Mais la bibliothéconomie n'est pas prête à mettre en cause le dogme de l'user-centrism. Pourtant, usager, que de crimes (sans doute) commis en ton nom!

Tout dépend encore une fois de ce que l'on entend par "usager". Spontanément, plusieurs définitions peuvent venir à l'esprit :

1) L'usager comme somme de besoins informationnels plus ou moins identifiées

C'est un usager très prisé des bibliothèques, réduit à des fonctions abstraites.
C'est un usager qui veut qu'on lui parle du monde.

2) L'usager comme moi privé

L'usager gravite autour de son nombril et entraîne dans ce vortex tout un pan du graphe social.
C'est un usager auto-centré sur lui-même et les siens.

3) L'usager comme moyenne statistique

C'est la figure qui émerge d'un questionnaire.
C'est un usager qui n'existe pas, c'est-à-dire un usager qu'on peut très bien satisfaire tout en déplaisant à chaque usager réel.

Et vous, c'est quoi votre définition d'un usager?

Collaboration à géométrie variable (2)

"Collaboration" est un terme éminemment polysémique. Il existe des formes et des degrés différents de collaboration.
Voici une illustration des paradoxes qui peuvent naître d'une définition approximative : un certain nombre d'usagers n'ont pas hésité à répondre que non, non, non, ils n'étaient aucunement disposés à collaborer ou à participer d'une manière ou d'une autre à la Bibliographie nationale française.
Mais qu'ont-ils fait en répondant à un questionnaire d'une quarantaine de questions sur la Bibliographie nationale française sinon collaborer à la réflexion sur la forme et l'usage de ce produit, faisant une oeuvre tout aussi utile que l'usager adepte de l'étiquetage?

Collaboration à géométrie variable (1)

Sans l'avoir vraiment cherché, nous voici donc embarqués dans une enquête collaborative sur le travail collaboratif avec l'usager. Mais il y a cependant collaboration et collaboration. On ne collabore pas avec les producteurs de la Bibliographie nationale française comme on collabore avec les spécialistes du web 2.0. ou avec les usagers.

Collaboration avec les producteurs

Sommes-nous les "Auteurs" de l'enquête sur les usages de la Bibliographie nationale française? Nous sommes surtout des agents qui ont favorisé et organisé la collaboration nécessaire à la réalisation de l'enquête. Ce déplacement est significatif. Le questionnaire est un feuilleté énonciatif, un exercice d'écriture à plusieurs mains, même si la signature reste la nôtre.

Nous n'avons pas conservé tous les stades intermédiaires du questionnaire et cela est fort dommage. Ajouts, exclusions, filtrages, reformulations, réordonnancements, resegmentations. Le résultat final est naturellement méconnaissable par rapport aux premières questions jetées à la hâte et fort maladroitement sur le papier. Chacun en tout cas a joué le jeu de bonne grâce et a eu tout loisir d'exprimer son point de vue. Pour tout dire, la majorité des critiques formulées à l'encontre du questionnaire était justifiée et a donc été prise en compte.

Ceci étant dit, un questionnaire n'en reste pas moins un exercice fortement contraint et fortement dépendant du cadre institutionnel dans lequel il se situe. Chacun élabore des questions en fonction de savoirs pré-construits et plus ou moins sédimentés, en anticipant très fréquemment les réponses que l'usager risque de faire. Un questionnaire est-il destiné à recueillir les réponses des usagers ou consiste-t-il en un paramétrage de ces mêmes réponses?
Poussons un peu la logique à sa limite : ne peut-on, dans certains cas, envisager le questionnaire comme l'art de ne pas faire dire à l'usager ce qu'on ne souhaite point entendre?

D'où la jouissance éprouvée à la lecture de certains délicieux dérapages :

Question : Avez-vous un sujet de recherche, une discipline ou un thème de prédilection?
Réponse : Mais bien sûr que j'en ai un.

lundi 25 février 2008

Fractalité de la collaboration

Il était donc acquis dès le départ que la collaboration avec les usagers allait constituer l'objet principal de nos interrogations. Très rapidement, il est apparu que la méthode elle-même devait être collaborative ou que le projet ne serait pas...

Collaborer avec qui?

Avec les producteurs des différents volets de la Bibliographie nationale française bien sûr. Avec les producteurs, oui, mais pas seulement.

Avec les usagers bien sûr. Il était important de leur soumettre l'hypothèse d'une collaboration avec la Bibliographie nationale française qui impliquerait pour eux un changement important de positionnement : est-il sûr que les usagers soient disposés à troquer leur position habituelle de récepteurs pour une position de co-producteur d'informations bibliographiques? Et d'abord qui sont les usagers de la Bibliographie nationale française? Bref, une équation avec de multiples inconnues.

Avec les spécialistes du web 2.0.
Nous sommes des nouveaux-nés en matière de web 2.0. On ne s'improvise pas expert d'un domaine en quelques mois. Il nous a paru important d'ouvrir un blog pour recueillir l'avis de tous ceux qui réfléchissent à la thématique du web 2.0. et esquisser la figure de ce que pourrait être une Bibliographie nationale 2.0. À moins que par nature cet objet ne soit pas adaptable au web 2.0...

Signalons que nous n'appartenons à aucun de ces groupes et que c'est la seule légitimité que nous revendiquons. C'est parfois un avantage que d'être sans qualités.

Je collabore, tu collabores, il collabore...

Fin 2007, la Section Bibliographie de l'IFLA (Fédération internationale des associations de bibliothécaires) lance un appel à communications qui met en vedette la notion de collaboration dans les bibliographies nationales officielles.

En filigrane, collaborer plus pour que les coûts soient moindres. Collaborer avec les éditeurs, peut-être avec d'autres bibliothèques etc.

Mais quid de la collaboration avec l'usager prônée par le web 2.0.? Hors-sujet ou approche facétieuse d'un sujet à facettes ?

De Durban à Québec : genèse d'un projet

Au début il y eut Durban.

Plus exactement, le Congrès annuel de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires qui s'est donc réuni en Afrique du Sud en mois d'août 2007.

Parmi les choses entendues, une a particulièrement retenu notre attention, en raison de notre ancrage professionnel : lors d'une session, une intervenante a souligné la regrettable absence d'enquêtes d'usage sur les Bibliographies nationales officielles.

Le Congrès a d'autre part été marqué par l'émergence et la montée en puissance de la thématique du web 2.0. évoquée dans de multiples sections. Impossible d'y échapper.
Querelle des Anciens et les Modernes, des sceptiques et des zélateurs.

Quatre mois plus tard (temps de maturation oblige), une étincelle est née du rapprochement improbable de ces deux réalités. Le centrement sur l'usager ne faisait-il pas partie du code génétique du web 2.0. ? Vu que tout aujourd'hui est affublé du suffixe 2.0 (voire 3.0 ou même 4.0 pour les plus avant-gardistes), pourquoi pas les Bibliographies nationales officielles?

Une bibliographie nationale 2.0.?
It's the National Bibliography, stupid! It's an oxymoron, moron!
L'alliance de la carpe et du lapin, quoi! Avec un fort risque d'électrocution...

Meet the Lamcans

Les tenanciers de ce blog sont un improbable attelage de deux honnêtes conservateurs de bibliothèque qui, un peu étourdis par le brouhaha médiatique autour du Web 2.0. , ont décidé de se faire leur propre idée. Aucun des deux n'est idolâtre du Web 2.0. Aucun des deux n'en a la phobie. L'un appartient distinctement à l'âge de l'imprimé tandis que l'autre n'est que de peu l'aînée des "web natives".