samedi 22 mars 2008

Ainsi donc, c'était un canular...

Nous nous étions fait l'écho il y a quelques jours d'un article du Monde dont l'auteur n'était autre que Régis Debray. Le prince des médiologues s'inquiétait des visées sinistres d'une soi-disant commission présidentielle qui prétendait mettre bon ordre au monde poussiéreux des livres.
Il s'avère aujourd'hui que tout cela n'était qu'un canular. Nous sommes donc coupables d'avoir colporté une rumeur infondée, incriminant injustement un certain nombre de personnages qui n'avaient rien demandé.
Cette mésaventure donne à la fois tort et raison à Andrew Keen.
Il est manifeste, comme le souligne l'essayiste (après tant d'autres), qu'Internet peut être un redoutable instrument de lynchage. Des noms sont livrés à la vindicte publique pour un oui ou pour un non. Il suffit qu'un faux bruit se propage sur le web et la mayonnaise de la paranoïa ne tarde pas à monter. Internet est une vaste steppe où la foule se transforme soudain en meute et où les loups hurlent avec les loups. C'est le versant sombre du réseau.
Cette histoire nous incite pourtant à relativiser la confiance aveugle qu'accorde Andrew Keen aux experts. L'expert n'est pas au-dessus de tout soupçon. Andrew Keen durcit l'opposition entre experts et amateurs et méconnaît la fréquente absence de consensus au sein d'une même communauté d'experts. Il stigmatise d'un ton moralisateur les maux engendrés dans la société par Internet (pornographie, mercantilisme, paris en ligne etc...) mais pare les experts de toutes les qualités. C'est ignorer que les experts ne sont pas uniquement des amoureux de la vérité, qu'il existe des avis divergents sur une même question et que les experts sont soumis non seulement à la glorieuse incertitude de la science mais aussi à un certain nombre de pressions et contraintes externes. Tous les experts sont "indépendants" mais certains sont plus indépendants que d'autres... Les exemples foisonnent dans tous les domaines. Ce qui manque à l'ouvrage d'Andrew Keen, c'est peut-être une définition approfondie de la notion d'expert. Wikipedia est la cible favorite de l'essayiste et on comprend que le relativisme généralisé lui soit insupportable. Mais sa démonstration est lapidaire. Dans le monde des experts, nous dit-il, deux et deux font toujours quatre mais dans le web 2.0, il n'est pas exclu que deux et deux fassent autre chose que quatre... Mais ce qui est vrai en arithmétique ne l'est pas nécessairement dans les sciences sociales... ni même peut-être en géométrie. Demandez à deux géomètres de calculer la longueur d'une portion de la Côte atlantique et vous n'aurez sans doute pas le même résultat!
Andrew Keen oppose une vérité référentielle à une vérité par consensus. Mais qu'est-ce que l'expertise d'un expert sinon une qualité qui lui est reconnue à la faveur d'un consensus, d'un consensus d'experts certes mais d'un consensus tout de même...
Point de salut hors des experts, semble nous dire Andrew Keen et pourtant, en voici un, et non des moindres, qui est pris en défaut. Régis Debray... expert ès média.
Andrew Keen substantialise la différence entre experts et amateurs jusqu'à en faire deux races d'individus. Ce qui compte pourtant, ce n'est pas le pedigree du locuteur mais bien le discours qu'il tient. Un expert n'est ni infaillible ni omniscient. C'est pourquoi il est préférable de substituer à l'opposition expert / amateur, l'idée d'un continuum même si Andrew Keen récuse formellement l'hypothèse d'un "noble amateur" qui se situerait dans l'entre-deux.
Faisons une concession à Andrew Keen. Statistiquement, l'intérêt et la qualité du discours des experts est supérieur à celui des amateurs. Il faut se garder de toute démagogie et de tout populisme... Mais il n'y a rien à gagner d'un discours monopolisé par les experts. Andrew Keen ne dit mot par exemple des whistleblowers qui rendent d'immenses services à la communauté en brisant parfois le silence des experts. Et le consensus des experts est rarement un moteur pour l'avancée de la science.

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