dimanche 16 mars 2008

Experts, amateurs et Bibliographies nationales officielles

La réflexion d'Andrew Keen sur les affres du web 2.0 n'est pas directement transposable au sujet qui nous occupe (l'hypothèse d'une Bibliographie nationale 2.0).

Chaque terme doit être retraduit et replacé dans le contexte d'une Bibliographie nationale en ligne.

Chez Andrew Keen, l'opposition entre experts et amateurs est caricaturale pour les besoins de la démonstration. Les experts appartiennent aux médias traditionnels tandis que les amateurs hantent les espaces virtuels du web 2.0. Les uns sont consciencieux, bien formés, compétents, responsables de leurs actes, rémunérés pour leur labeur tandis que les autres sont indignes de confiance, sans goût pour la vérité, narcissiques, irresponsables.
Le plus grave est que les amateurs, forcément sans qualités, ôtent le pain de la bouche des experts, forcément au-dessus de tout soupçon.
La critique du web 2.0 a pour pendant l'idéalisation des médias traditionnels.

Ce que dépeint Andrew Keen, c'est un combat épique entre experts et amateurs, un combat à mort à l'échelle du web 2.0.

Dans le contexte qui est le nôtre, les choses s'organisent différemment. Il n'est pas question que les amateurs supplantent les experts pour alimenter ce qui serait, horresco referens, quelque chose comme une wiki-Bibliographie nationale. Le préfixe "wiki" est antinomique à l'épithète "officiel". Le mode de constitution de la Bibliographie nationale française (sur la base du dépôt légal) empêche ce qui serait de toute évidence une absurdité.

Il est difficile d'imaginer que les "amateurs" puissent jouer un rôle autre que marginal dans ce domaine. Les experts (à savoir les bibliothécaires, seuls ou assistés d'autres professionnels) ne sont pas menacés par la perte de leur monopole. Les amateurs seraient au mieux leurs adjuvants, mais en aucun cas leurs concurrents.

Il en va autrement pour toutes les fonctions secondaires (commentaire, tagging, signalement de documents en lien). Qui serait susceptible d'occuper la place de l'expert dans ce cas?

Le bibliothécaire maîtrise l'art de décrire un document en fonction de normes bibliographiques mais au-delà de sa capacité d'indexation, maîtrise-t-il pour autant le sujet, est-il capable d'évaluer le document par rapport aux autres documents produits sur le même sujet?
La réponse à ces questions est sans doute négative. Même si le bibliothécaire disposait de ces compétences, la Bibliothèque n'aurait pas les moyens de mettre en oeuvre un tel dispositif.

Si ce n'est pas le bibliothécaire (l'expert bibliographique), qui donc? On songe tout naturellement à l'expert (du domaine) ou plutôt aux experts du domaine.

Ce que nous voulons dire, c'est que la relation agonistique décrite par Andrew Keen ne se vérifie pas dans tous les cas de figure. Il n'y a pas nécessairement friction entre experts et amateurs. Il peut y avoir une distribution des rôles.

Andrew Keen définit le monde des experts comme un monde où "deux et deux font quatre" et le monde du web 2.0 comme un monde où il n'est pas exclu que "deux et deux fassent trois ou cinq".

Dans l'environnement d'une bibliographie nationale officielle, on peut cependant concevoir des avis experts et divergents sur un même document.

Andrew Keen reproche aussi au web 2.0 de représenter une perte de temps car dans un monde de profusion informationnelle, il devient nécessaire de filtrer une infinité de documents auto-publiés.

Mais appliqué à une Bibliographie nationale, le web 2.0 peut représenter un gain de temps. Un commentaire peut définir par exemple le contexte de réception et d'usage d'un document et épargner à l'usager la consultation de documents qui ne correspondent ni à ses besoins ni à ses attentes. Un étudiant ou un chercheur ne peut pas toujours savoir à la lecture d'une notice si le document répertorié dans la Bibliographie nationale est un ouvrage de vulgarisation ou un ouvrage hyper-spécialisé. Entre deux documents sur le même sujet, il n'a pas les moyens de savoir celui qui lui conviendrait le mieux.

Même diabolisé, le web 2.0 n'est pas nécessairement une promesse d'enfer...

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